IV. - LA NÉCESSAIRE IMPLICATION DE L'ÉTAT

« Certains prétendent qu'il suffirait que la puissance publique se désengage pour que se libèrent spontanément les initiatives génératrices de richesse. Je crois au contraire qu'une intervention publique forte se justifie dans un domaine où les bénéfices pour la collectivité dépassent les intérêts particuliers ».

Lionel Jospin - Assises de l'innovation, 12 mai 1998

A. - UN ENJEU COLLECTIF AUTANT QU'INDIVIDUEL

La création de TPE se trouve donc au centre d'enjeux collectifs cruciaux ; favoriser l'accès de tous à l'entrepreneuriat, densifier le tissu économique sur le territoire, donner une seconde chance à ceux qui en ont manqué voilà bien des objectifs éminemment politiques.

Ils devraient largement suffire à justifier l'intervention du seul garant de l'intérêt général.

Pourtant, en France et en matière de création d'entreprise, cette intervention ne paraît pas aller de soi et même ceux qui souhaitent des mesures volontaristes ne paraissent pas en saisir la portée politique.

Pour illustrer ces deux thèmes, contentons-nous, au milieu d'un florilège important, de citer deux extraits issus d'un ouvrage par ailleurs fort intéressant, le « Livre blanc de la création d'entreprises » (octobre 1998) où après avoir appelé à un « engagement fort du monde politique en faveur de l'entrepreneur », les rédacteurs du fascicule se livrent au surprenant diagnostic suivant : « L'entrepreneur peut reprendre le devant de la scène : l'économique l'emporte sur les idéaux politiques ». Comme si l'économie pouvait être autre chose que de l'économie politique. Comme si loin de « l'emporter » sur lui, l'économique et en l'espèce le soutien aux entrepreneurs, ne devaient pas d'abord s'appuyer, refléter et être légitimés par un « idéal politique ».

Dans le même ouvrage, le président du CNPF (aujourd'hui MEDEF) affirme, après avoir regretté l'insuffisant succès de « l'aventure entrepreneuriale », que « s'il fallait désigner un des coupables de cette frilosité, l'étatisme serait sans nul doute désigné du doigt ». L'État ne peut être coupable de tout et de son contraire.

En la circonstance, la conviction de votre Rapporteur est bien que l'État doit intervenir pour favoriser la création de petites entreprises.

B. - L'INTERVENTIONNISME DES ÉTATS-UNIS EN FAVEUR DES TPE

Il est amusant de noter que, paradoxalement, ce débat sur la légitimité de l'intervention de l'État en faveur de la création d'entreprise ne se pose pas aux États-Unis pourtant universellement considérés comme le temple de l'économie de marché et de la libre entreprise.

On a déjà souligné plus haut dans ce rapport la cohérence des Américains dans ce domaine.

Rappelons ici que le « Small Business Act » voté le 30 juillet 1953 par le Congrès américain stipule expressément que « le Gouvernement doit aider, conseiller et protéger dans toute la mesure du possible les intérêts de la petite entreprise, afin de préserver l'esprit de libre concurrence, d'assurer qu'une proportion équitable des marchés publics soit passée avec des petites entreprises et de maintenir, en la renforçant, l'Économie de la Nation dans son ensemble ».

Sur ce socle législatif s'est construit progressivement un dispositif puissant dont la « Small Business Administration » est la clé de voûte. Cette agence fédérale directement rattachée au Président des États-Unis, dispose de larges pouvoirs tous justifiés par la défense et la promotion de la petite entreprise. Elle gère pour le compte de l'État de nombreux « programmes » (information, conseils, formation, prêts, programmes spécifiques envers les « minorités », etc.) qui traduisent l'évolution des préoccupations de l'État Fédéral et son souci d'intégrer la création de petites entreprises dans tous ses principaux engagements en faveur du développement économique, de la lutte contre le chômage ou contre les inégalités.

Au sein de la Chambre des Représentants, une commission spéciale (« Committee Small Business ») composée de 70 « administrateurs » salariés nommés à la proportionnelle par les Républicains et par les Démocrates veille en permanence aux intérêts de la petite entreprise et s'efforce d'adapter régulièrement le cadre législatif à ses besoins. Ainsi la Chambre des Représentants aura adopté au cours du premier semestre 1999 pas moins de six textes (« bills ») visant à améliorer le dispositif d'État de soutien aux petites entreprises. Osons donc l'affirmer : en matière de création d'entreprises, les États-Unis sont « interventionnistes », la France ne l'est pas assez.

C. - POUR UNE INTERVENTION ADAPTÉE DE L'ÉTAT

Laissons donc nos pudeurs, nos complexes et nos faux débats : dans le domaine des TPE, l'État doit favoriser l'émergence d'un cadre dans lequel l'intérêt collectif sera d'autant mieux servi que se multiplieront des initiatives pérennes relevant de l'intérêt particulier.

Il doit clairement indiquer comment il entend mettre en _uvre ce « partage du risque » sans lequel il ne peut y avoir de plan ambitieux de soutien à l'entrepreneuriat car, comme le soulignait très précisément le rapport Larrera de Morel  (16) en 1996, « la création d'entreprises est une activité à risques, une activité où le surcroît de risques par rapport à la gestion d'une entreprise ordinaire est durable. Le coût supporté par le créateur du fait de ces risques est supérieur au coût de gestion d'une entreprise normale et le bénéfice qu'il en retire est, dans la quasi totalité des cas, inférieur au bénéfice que la collectivité en retire ».

Mais nous ne sommes plus à l'ère des "grandes projets industriels" portés par l'Etat, conçus et financés par lui comme dans les années soixante et soixante dix. Même si un meilleur accès des PME aux marchés publics est souhaitable, la commande publique ne peut plus, à elle seule, orienter le marché.

Les nouvelles règles du jeu de l'économie mondiale, les caractéristiques des entreprises modernes doivent conduire l'Etat à privilégier ses fonctions de régulation, d'incitation, parfois de correction.

Pour favoriser la création de TPE et la rendre accessible au plus grand nombre, l'État doit s'attaquer aux trois verrous principaux que sont les carences de l'accompagnement, le statut précaire du créateur et les difficultés d'accès au financement.

Il convient donc d'engager d'urgence trois actions convergentes en faveur de la création d'entreprises.

Suite

Retour sommaire du rapport