B. - LES TRÈS PETITES ENTREPRISES, MOTEUR DE LA CROISSANCE ET DE L'EMPLOI
La contribution des TPE au dynamisme de notre économie et à la création d'emplois n'est pas toujours appréciée à sa juste valeur.
Les chiffres de l'INSEE sont pourtant éloquents :
· 80 % des entreprises qui se créent chaque année en France n'ont pas de salarié au démarrage. Moins de 1 % comptent plus de 10 salariés au départ.
· 55 % d'entre elles sont créées par des personnes physiques, 45 % par des personnes morales.
· Si la création d'entreprises a concerné, en 1998, 329.162 emplois en intégrant les réactivations et les reprises, l'impact de la création "pure" aura été estimé à 288.888 emplois.
D'où vient, de ce fait, le faible intérêt que l'enjeu économique de la création de TPE paraît susciter ? Avançons quelques tentatives d'explication.
1. Le contenu des prestations offertes par les TPE est souvent mésestimé. Certains continuent, à tort, d'assimiler TPE et "petits boulots". C'est mal connaître, dans le commerce, les services, l'artisanat, le conseil, etc. le professionnalisme des « petits entrepreneurs ».
2. L'innovation serait le monopole de la technologie. On a déjà exprimé le souci de ne pas nier l'apport fondamental pour l'avenir de l'économie française des entreprises utilisant de « nouvelles technologies » et la légitimité de l'action publique en leur faveur. Doit-on pour autant dévaloriser l'innovation sociale, l'innovation dans le secteur des services ?
Prenons l'exemple en apparence banal des services aux personnes âgées. Qui ne voit que l'innovation dont ont fait preuve les entrepreneurs et les associations relevant de « l'économie sociale » a permis d'apporter en une décennie de nouvelles réponses et de nouvelles satisfactions à des besoins anciens ?
Qu'il s'agisse du portage de repas à domicile, du transport et d'accompagnement des personnes âgées, des travaux effectués à l'intérieur de leur domicile, la conception des sorties hors du domicile, pour des formalités administratives, des courses ou des loisirs, qu'il s'agisse encore d'accès à la culture voire aux nouvelles technologies de l'information, d'hygiène, de gymnastique adaptées ou de sécurité (télé-alarme, présence humaine périodique etc), toutes les facettes de la vie d'une personne âgée ont fait l'objet de prestations de plus en plus professionnalisées, personnalisées et qualifiées.
Ainsi, sur ce seul domaine où malgré les progrès enregistrés, il reste tant à faire, quantitativement comme qualitativement pour pouvoir permettre le maintien à domicile des personnes âgées, l'innovation de petites entités, entreprises ou associations auront tout à la fois permis d'améliorer la qualité de vie des personnes concernées et de créer beaucoup d'emplois.
3. On confond trop souvent (petite) taille de départ et potentiel.
Certes, beaucoup d'entrepreneurs individuels choisiront ou seront contraints de ne pas embaucher de premier salarié (notons en passant que l'incitation à l'embauche du premier salarié devrait constituer l'enjeu majeur des réflexions sur l'allégement des charges et des simplifications administratives).
Mais il serait absurde de nier le potentiel de certaines TPE ; sans même faire appel à la désormais célèbre « Apple Story » dont chacun connaît le scénario, le décor (un garage californien) et les héros (deux, deux seulement au départ), il est clair que beaucoup de TPE recèlent un potentiel de croissance et d'emplois, dont il convient de faciliter l'éclosion, l'exemple le plus moderne étant probablement fourni par la multitude de petites entreprises de commerce électronique ou de services liés à "l'économie du Net", qui connaissent et connaîtront, pour certains d'entre elles, une forte expansion.
4. Enfin, concernant l'impact des TPE sur l'emploi, la minoration de leur contribution tient probablement au mythe de leur mortalité supposée quasi automatique.
On verra plus loin qu'il est faux d'affirmer qu'une entreprise sur deux est un échec au terme de cinq ans.
Essayons ici de tordre le cou à l'idée reçue selon laquelle les TPE ne créeraient que des emplois non pérennes voire, pour certains, détruiraient quasiment autant d'emplois qu'elles en créeraient.
L'enquête Sine publiée en janvier 1999 par l'INSEE montre que l'on peut raisonnablement estimer que les entreprises nouvelles qui auront créé 100 emplois en année N en compteront toujours 85 en année N + 3.
Ainsi, dans l'enquête citée, sur 100 emplois initialement créés en 1994, les entreprises nouvelles en auront en 1997 maintenu 55, perdu 45 mais celles qui se seront développées en auront créé 30 au bout de 3 ans, d'où le chiffre de 85 % (55 + 30).
L'impact des nouvelles entreprises sur l'emploi doit donc être considéré comme majeur, ce qui devrait nous alerter davantage sur les conséquences de la baisse continue, en une décennie, du nombre de créations d'entreprises. Ainsi, la Commission « Financement » du CNCE estime dans un rapport interne de 1999 que « depuis 1991, il y a en moyenne 48.000 emplois de moins par an parmi ceux générés, par la création d'entreprise ».
Il est certes difficile d'extrapoler à partir d'un tel chiffre et d'additionner des « manques à gagner ». Il n'empêche. En une décennie, la contribution de la création d'entreprises aurait pu être de 500.000 emplois supplémentaires si la France était restée au niveau d'environ 200.000 entreprises créées par an (chiffre de 1989) au lieu des 160.000 actuelles.
Même simpliste, l'énormité de ce chiffre de 500.000 emplois manquants doit nous servir d'aiguillon, d'incitation à l'action.
C.- FIXER UN OBJECTIF QUANTITATIF POUR LA CRÉATION D'ENTREPRISE EN FRANCE
A la lumière de ces chiffres, la France doit se fixer d'abord un objectif quantitatif : revenir rapidement au niveau des 200.000 créations par an.
Ce chiffre n'a rien de démesurément ambitieux ; c'était celui de la création d'entreprises en France en 1989. Par ailleurs, et comme l'indiquait la Secrétaire d'Etat aux PME, Mme Marylise Lebranchu, dans un discours prononcé devant la CPGME, en octobre 1998 : « rapporté à la population active, le nombre d'entreprises françaises serait de 3,4 millions si notre pays avait la même densité entrepreneuriale que la Grande-Bretagne ».
Comparée aux États-Unis, la France accuse un écart plus important encore puisqu'avec le même ratio entreprises / population, le « stock » d'entreprises françaises devrait être de 4,2 millions, à comparer avec nos 2,3 actuels.
D.- COMPLÉTER CETTE APPROCHE PAR UN OBJECTIF QUALITATIF : GARANTIR LA PÉRENNITE DE 80% DES NOUVELLES ENTREPRISES
La fixation d'un objectif quantitatif (200.000 entreprises par an rapidement dans une première étape) doit s'accompagner d'un effort qualitatif aussi important.
Certains en font, à tort, un objectif unique ; à les entendre plutôt que de favoriser la création d'entreprises nouvelles, mieux vaudrait se consacrer exclusivement à diminuer leur mortalité, à assurer leur pérennité.
Cette préoccupation apparaît en première analyse d'autant plus légitime qu'elle s'appuie sur le chiffre le plus connu, le plus colporté et en définitive le moins cerné de la création d'entreprises : celui selon lequel une entreprise sur deux meurt avant l'âge de cinq ans.
Les conclusions essentielles que l'on en tire mériteraient que l'on se penche davantage sur la statistique. Car si 50 % des entreprises ont cessé leur activité au terme de cinq ans, 20 % seulement l'ont fait en déposant leur bilan. Les autres 30 % regroupent dans une catégorie hétéroclite les cessations volontaires par le créateur, les fusions etc. Faute de précisions complémentaires, il est donc faux d'affirmer qu'une entreprise sur deux échoue avant cinq ans.
Notons, incidemment, qu'il y aurait par ailleurs beaucoup à dire sur « l'échec » de l'entrepreneur en question ; est-on certain que le créateur qui cesse volontairement son activité pour reprendre une activité salariée doit être considéré comme ayant échoué ? Est-on même certain, bien que ce soit plus discutable, qu'un chômeur en fin de droits ayant créé son activité et échouant au bout de 2, 3 ou 4 ans considérera son expérience comme uniquement négative ?
Il n'en demeure pas moins que la pérennisation des entreprises nouvellement créées doit être recherchée parallèlement à la croissance de leur nombre. Toutes les mesures proposées dans la seconde partie de ce rapport vont dans ce sens, qu'il s'agisse de l'accompagnement, de l'accès au financement ou de l'adaptation de la couverture sociale.
La création d'entreprises est un monde hétérogène ; et on a vu que la mortalité infantile est dans ce domaine statistiquement mal appréciée ; la fixation d'un objectif de pérennité est donc particulièrement malaisée.
Risquons-nous cependant à proposer l'objectif suivant : que 4 entreprises sur 5 soient toujours vivantes 5 ans après leur naissance.