III.- LEVER LES OBSTACLES À L'ACCÈS AU FINANCEMENT

Chacun peut en faire l'expérience. Evoquez avec des banquiers ou des spécialistes de la grande ou de la moyenne entreprise les questions du financement de la création d'entreprise.

Dans leur très grande majorité, ils vous affirmeront que c'est un faux problème, que l'argent est disponible mais que nous manquons de projets et de créateurs compétents.

Posez les mêmes questions à des accompagnateurs de créateurs d'entreprise ou à des entrepreneurs ; tous vous décriront les affres de la recherche de financement de départ pour des TPE, vous feront part de leur amertume quant au temps et à l'énergie gaspillés pour accéder à des prêts souvent très faibles et vous citeront nombre d'exemples de créateurs potentiels ayant abandonné face aux difficultés rencontrées dans leurs relations avec des financeurs potentiels.

Une segmentation des projets pourrait nous conduire à considérer que les problèmes d'accès au financement se posent pour les PME traditionnelles lorsqu'elles ont besoin de plus d'un million d'apports (les PMI innovantes disposent, elles, d'un capital-risque aujourd'hui relativement abondant), pour toutes les entreprises dont les investissements de départ sont inférieurs à un million de francs mais se révèlent particulièrement cruciaux pour les TPE.

Nous avons fixé dans une première partie un objectif politique : démocratiser l'entrepreneuriat, élargir la base sociale des créateurs.

Dans le domaine de l'accès au financement, la déclinaison de cet objectif pourrait être la suivante : toute personne démunie de ressources personnelles ayant bâti un projet de création d'entreprise jugé crédible par des personnes qualifiées doit pouvoir accéder aux ressources financières minimales lui permettant d'accéder à l'entrepreneuriat.

C'est pourquoi, les propositions qui suivent s'efforceront d'abord de résoudre l'épineux verrou des 100.000 premiers francs d'apports, les plus difficiles à trouver parce que les offreurs sont rares et prudents.

On s'attachera ensuite à montrer comment les pouvoirs publics peuvent par la politique fiscale, favoriser l'investissement des particuliers, contribuer à l'émergence de « fonds de capital risque solidaire » et encourager l'essaimage.

Afin d'encourager la création de TPE, on plaidera donc pour la mise en place d'une véritable « chaîne de financement » susceptible de remédier aux carences de notre système actuel.

A.- RÉTABLIR LA « SUBVENTION ACCRE »

1.- LES TERMES DU DÉBAT : AVANCE REMBOURSABLE OU SUBVENTION ?

L'ère est aux "avances remboursables"

On leur prête toutes les vertus : leur coût final limité pour le prêteur ; la responsabilisation de l'emprunteur.

Les avances remboursables ont effectivement bien des vertus.

La mode est, de plus, aux avances remboursables conditionnelles.

Le créateur obtiendra A s'il a déjà obtenu B. A est une avance remboursable, B est un prêt bancaire classique.

Comment ne pas s'étonner d'une telle vogue ? Elle aboutit lorsque le dispositif est financé sur fonds publics (État, collectivités locales) à transférer de fait le pouvoir de décision au banquier.

Pour un dispositif conçu pour favoriser l'accès au financement de personnes défavorisées, il revient au banquier, en accordant le prêt B, de déclencher l'octroi de l'avance remboursable A.

Connaissant la propension des banques à prêter de l'argent aux créateurs démunis on peut, au choix, considérer que ces dispositifs ont été conçus par des gestionnaires de la dépense publique avisés et un rien cyniques, convaincus qu'ils ne pouvaient trouver meilleur allié que le banquier pour limiter les dépenses ; ou parier, s'ils ont été conçus de bonne foi, qu'ils devront être rapidement révisés, faute de pouvoir bénéficier réellement à leurs destinataires théoriques.

Notons au passage qu'il ne s'agit pas ici de diaboliser les banques ou les banquiers ; on cherchera au contraire à proposer plus loin des outils pour favoriser le nécessaire rapprochement entre la banque et le créateur, ce que les spécialistes appellent dans leur jargon la « bancarisation » de la création d'entreprise. Mais chacun connaît les préventions des banquiers à l'égard des créateurs d'entreprises, préventions légitimes au demeurant puisque les banques gèrent des dépôts exigibles. Ils ne sont naturellement pas les plus qualifiés pour déclencher l'action publique.

Mais la subvention est, elle, aujourd'hui suspecte.

La suppression par le Gouvernement de M. Alain Juppé de la prime de 32.000 francs accordée aux chômeurs créateurs ou repreneurs d'entreprises paraît avoir sonné le glas de la subvention aux créateurs.

L'ACCRE fut malmenée dès 1995 : après avoir à juste titre limité l'aide aux « candidats à la création d'entreprises les mieux préparés porteurs de projets les plus cohérents et les plus sérieux, tout en considérant les demandeurs d'emploi prioritaires au coeur du champ du dispositif », la loi de finances rectificative du 4 août 1995 avait, de façon surprenante, limité son bénéfice aux chômeurs de plus de 6 mois d'ancienneté...

Le rapport de M. Philippe Mathot, député, en 1996, annonçait l'hallali, avec une franchise décapante : après avoir noté que « les créateurs de métier sont plus performants que les créateurs contraints » (c'est-à-dire les chômeurs), le rapporteur estimait que la « logique d'efficacité » devait conduire à supprimer l'ACCRE ainsi que « les autres mesures d'aides à logique sociale ». En 1997, la prime de 32.000 francs était supprimée et, depuis lors, la « subvention ACCRE » a été chargée de tous les maux.

La façon dont cette prime était accordée - en pratique de façon quasi automatique, les contrôles amont se révélant inopérants - méritait sans doute de profondes modifications et a très certainement engendré des dérives inacceptables.

Plutôt que de réformer, on a préféré supprimer. Eliminant ainsi l'un des rares outils d'aide à l'initiative des plus démunis, dans une société qui prône la libre entreprise et l'égalité des chances...Aggravant la structure de haut de bilan des petites entreprises françaises dont la faiblesse en fonds propres est bien connue.

La prime ACCRE ne méritait pas tant d'indignité. Un rapport de l'IGAS confirme ce que disent les réseaux d'accompagnement de la création d'entreprises. L'ACCRE a effectivement permis à de nombreux chômeurs de créer leur entreprise. Le rapport relève qu'en 1997, 57 % des bénéficiaires de l'ACCRE en 1994 étaient toujours à la tête de leur entreprise !

2.- DÉFENDRE LE PRINCIPE D'UNE SUBVENTION DE 20.000 FRANCS POUR LES PERSONNES LES PLUS DÉMUNIES

La subvention n'est pas illégitime

Politiquement, une subvention accordée au chômeur-créateur peut être analysée comme l'octroi d'un « capital de substitution, comme il existe des revenus de substitution, à ceux qui en sont dépourvus », pour reprendre l'expression de la Présidente de l'ADIE, Madame Nowak, ou comme la mise en oeuvre réelle et non formelle de la liberté d'entreprendre.

De façon plus ambitieuse, Jean-Baptiste de Foucauld n'hésitait pas à plaider (30) pour « un droit à l'initiative pour tous » et pour le « capital-initiative » défini comme le fait « d'offrir à tous (...) une raisonnable somme d'argent pour réaliser un projet ». Ainsi « chacun des membres de la collectivité nationale devrait donc disposer, une fois dans sa vie et au moment choisi par lui d'un "droit de tirage" sur cette même collectivité, pour un montant qu'on pourrait fixer à 30.000 francs » ajoutait l'auteur.

Le « droit à la création d'entreprise », la mise en place d'une « épargne pour création d'entreprise », le cas échéant prélevée sur les salaires, pourraient à l'avenir trouver toute leur place dans une « société d'initiative » soucieuse de garantir une réelle égalité des chances parmi les citoyens.

Pour l'heure, s'autolimitant, votre Rapporteur se bornera à plaider pour le rétablissement d'une prime en faveur des chômeurs-créateurs.

Économiquement, la subvention peut être rationnellement justifiée.

Elle permet de doter en fonds propres des petites structures qui en sont démunies ; or on sait que l'espérance de vie des TPE est étroitement corrélée à leurs fonds propres de départ.

Elle autorise un effet de levier pour le crédit classique : car comme le soulignait M. Michel Freyche, Président de l'Association Française des Banques, lors d'un récent colloque  (31) « lorsqu'on souhaite créer une entreprise, il est indispensable de disposer de fonds propres au départ. Une entreprise reposant uniquement sur les concours bancaires n'a aucune chance de réussir ».

Budgétairement, son coût est limité.

Sans entrer dans les débats sur le fait de savoir comment il convient d'apprécier le coût réel d'une subvention - faut-il ne retenir que son coût direct (le nombre de primes versées à des chômeurs-créateurs) ou défalquer les économies réalisées par le système de couverture sociale lorsque le créateur réussit à pérenniser son entreprise - on se contentera ici de rappeler que pour le budget de l'État les quelques 2 milliards de dépenses consacrées à l'ACCRE "ancienne formule" étaient compensées par le milliard accordé par l'Union européenne (« fonds du FSE »).

Il est donc proposé ici de rétablir une prime de 20.000 francs aux chômeurs-créateurs et aux titulaires des minimas sociaux créateurs d'entreprise.

Cette subvention n'aurait aucun caractère automatique : son octroi serait soumis à l'avis favorable du Comité Local des Partenaires de l'Entrepreneur (CLPE).

Certes, diront les sceptiques, rien n'empêchera le CLPE d'accorder systématiquement un avis favorable et l'ACCRE retrouverait alors ses dérives passées.

Ce serait méconnaître le professionnalisme et le sens des responsabilités des partenaires en question que d'imaginer qu'ils renonceraient ainsi à leur mission de sélection.

Par ailleurs, l'ensemble du dispositif devant être soumis à une évaluation permanente, toute dérive locale serait identifiée et corrigée.

B.- INSTITUER UN PRÊT D'HONNEUR ACCESSIBLE À TOUT CRÉATEUR

1.- LE CONSTAT : LES ATOUTS D'UNE INSERTION DANS LE CIRCUIT BANCAIRE ET D'UN APPORT INITIAL EN CAPITAL CONSÉQUENT

Une étude de l'APCE(32) montre que le taux de survie des entreprises créées avec, dès le départ, un prêt bancaire est, au bout de trois ans et demi, de 55 % contre 41 % pour les entreprises qui n'en ont pas bénéficié.

Cette étude établit, par ailleurs, que le taux de survie des nouvelles entreprises augmente avec le capital initial, surtout à partir de 100.000 francs. Le tableau ci-après illustre ce constat :

Taux de survie des entreprises nouvelles en fonction du montant
du capital investi initialement

 

(en milliers de francs)

 

 

Capital initial inférieur à 50

Capital compris entre 50 et 99

Capital compris entre 100 et 249

Capital compris entre 250 et 499

Capital initial supérieur à 500

Moyenne

Détenteur de prêt

46,5

45,5

58,5

68

70

55

Non détenteur de prêt

38

41,5

49

57

60

41

Source : Agence pour la création d'entreprise

Pour autant, la création de très petites entreprises bénéficie peu de concours bancaires. Comme le souligne le rapport précité du Conseil national du crédit et du titre, les créateurs apportant moins de 25.000 francs de capital représentent 35 % de l'ensemble des créateurs et seuls 8 % d'entre eux obtiennent un financement bancaire. Le tableau ci-après illustre cette situation.

Financement bancaire des créations en fonction du capital de départ

 

(en  %)

Apport en capital

Moins de 25.000 F

de 25.000 F à 99.000 F

de 100.000 F à 499.000 F

500.000 F et plus

Total

Part des créations

35

42

19

4

100

Pourcentage de créateurs bénéficiaires de prêts bancaires

8

21

42

67

22

Source : Conseil national du crédit et du titre

A ces deux paramètres, s'en ajoute un troisième qui est le rôle des réseaux d'appui au créateur. A cet égard, le rapport du Conseil national du crédit et du titre relève qu'ils sont susceptibles de faciliter l'accès au crédit d'entreprises naissantes par deux canaux : « les aides financières, et notamment les prêts d'honneur, ainsi que le cautionnement parfois apporté par les entrepreneurs « parrains » renforcent la capacité de la jeune firme à mobiliser des concours bancaires ; surtout, les réseaux se livrent à une présélection des projets qui bénéficieront de leur soutien, présélection dont la pertinence des critères au regard de la réalité économique locale conduit souvent à accroître significativement les taux de survie des entreprises éligibles ».

Ce constat est à l'origine du dispositif EDEN (Encouragement au développement d'entreprises nouvelles) (*) qui prévoit une délégation par l'État, à titre expérimental (jusqu'à fin 2000), de l'attribution de l'avance remboursable à des organismes experts tels que des associations de soutien à la création d'entreprises, des sociétés spécialisées dans le conseil ou encore des établissements financiers, locaux ou nationaux. On a déjà évoqué précédemment les retards accumulés dans la mise en place de ce dispositif. Dans son esprit, on note, toutefois, le choix de privilégier l'accompagnement du créateur en subordonnant l'avance remboursable au suivi d'une relation avec une structure d'appui. (*) texte complet sur le site

La proposition suivante tente d'intégrer ces différents paramètres dans la définition d'une aide financière, exclusivement réservée aux créateurs ou repreneurs d'entreprises, sans distinction fondée sur leur statut antérieur.

2.- UNE PROPOSITION : INSTITUER UN PRÊT D'HONNEUR DE 40.000 FRANCS ACCESSIBLE À TOUT CRÉATEUR

Compte tenu des différents éléments qui viennent d'être abordés, votre Rapporteur propose l'instauration d'un prêt d'honneur, d'un montant de 40.000 francs, auquel pourrait prétendre tout créateur, quel que soit son statut initial. Le bénéfice de ce prêt pourrait donc être cumulé avec celui de la prime de 20.000 francs évoquée supra, par les personnes les plus défavorisées qui souhaitent créer ou reprendre une entreprise.

Cette proposition rejoint, dans son esprit, celle formulée dans le rapport du Commissariat général du Plan qui suggérait la mise en place d'une aide de départ pour tous les créateurs d'entreprise, de l'ordre de 50.000 francs, dans la limite de 50 % des capitaux engagés, et remboursable en cas de survie de l'entreprise, au bout de trois ans.

Votre Rapporteur suggère toutefois que le prêt d'honneur comprenne un taux d'intérêt bonifié afin d'introduire, dès le départ, une logique de financement bancaire. Cet objectif est développé ci-après.

Ce prêt serait remboursable dans les mêmes conditions que l'avance remboursable, à savoir dans un délai maximal de 5 ans, le premier remboursement intervenant au plus tard 18 mois après le versement.

La décision d'octroi du prêt d'honneur serait prise par le « Comité Local des Partenaires de l'Entrepreneur » dont la mission et la composition ont été définies précédemment.

Dans un souci de faciliter l'insertion dans le circuit bancaire, votre Rapporteur préconise, par ailleurs, que le montant du prêt d'honneur soit versé directement à la banque, sur présentation d'un « bon » que lui aura remis le porteur de projet, bénéficiaire du prêt.

Dans ce schéma, le coût de gestion du prêt pour la banque est, dès le départ, réduit grâce à l'absence de risque. Afin d'inciter les banques à participer à ce dispositif, l'État pourrait, cependant, contribuer aux frais de gestion en versant une somme correspondant à une estimation de leur coût de laquelle serait déduite les intérêts de remboursement perçus.

Cette configuration prend en compte deux des paramètres évoqués précédemment, à savoir, d'une part, l'insertion dans le circuit bancaire et, d'autre part, le rôle des réseaux d'appui aux créateurs. Il convient, enfin, de compléter le dispositif de manière à parvenir à un apport initial conséquent.

3.- COMPLÉTER LE DISPOSITIF PAR UN CRÉDIT BANCAIRE « CLASSIQUE » GARANTI

Le dispositif décrit pourrait être utilement complété par le bénéfice d'une garantie publique pour les banques gestionnaires de ces prêts, qui accepteraient de les abonder. Cette garantie, plafonnée à 40.000 francs, permettrait d'atteindre un montant total de 100.000 francs en apports, pour les personnes, au départ écartées du circuit économique, mais dont la qualité du projet leur donnerait accès à la prime de 20.000 francs et au prêt d'honneur de 40.000 francs.

Il s'agit ainsi de favoriser un effet de levier en vue de la mobilisation de financements complémentaires au bénéfice des créateurs. Les banques sont, en effet, incitées à s'impliquer dans ce dispositif dans la mesure où le risque qu'elles prennent est considérablement réduit grâce à l'examen préalable du projet par un organisme d'appui et / ou le Comité local des partenaires de l'Entrepreneur et la mise en oeuvre d'une garantie publique, plafonnée à 40.000 francs, pour tout financement complémentaire. En outre, une participation aux frais de gestion est prévue.

Ces propositions cherchent, en définitive, à favoriser la mise en place d'une « chaîne vertueuse du financement » en faveur de la création d'entreprise, et notamment la très petite entreprise, qui permette aux différents acteurs concernés d'entamer un dialogue et une coopération fructueuse. Cette coopération entre le banquier et le créateur devrait mettre fin à l'image du « créateur-braqueur » que ce dernier ressent trop souvent au moment de ses démarches.

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