III.- LES ENJEUX SOCIAUX : AIDER TOUS LES CRÉATEURS ... MAIS AUSSI RÉHABILITER LE CHÔMEUR-CRÉATEUR

Le soutien à la création de très petites entreprises est aussi un enjeu social.

On a vu précédemment que l'extension du travail indépendant pouvait en partie s'analyser comme une « externalisation » de la part de PME ou de grandes entreprises et que cette extension devait s'accompagner d'une vigilance et d'une adaptation permanente des règles du jeu social afin qu'externalisation ne signifie pas précarisation.

Il nous faut ici évoquer l'autre ambition que doit s'assigner la création de TPE, celle d'apporter sa contribution à la lutte contre le chômage.

En France, le débat sur la relation chômage/création d'entreprise est biaisé par la résonance encore forte de la formule pour le moins maladroite du Premier Ministre en 1980, M. Raymond Barre : « Les chômeurs pourraient essayer de créer leur entreprise au lieu de se borner à toucher des allocations chômage » (ajoutons, pour être juste, que l'on doit à son auteur la mise en place du premier plan d'appui à la création d'entreprise et au chômeur-créateur).

Depuis, beaucoup se sont efforcés de « découpler » chômage et création, pour des raisons distinctes mais finalement convergentes.

Certains refusent à juste titre de faire de la création de son propre emploi par un chômeur la panacée universelle. On ne lutte pas contre un chômage qui touche encore plus de 10 % de la population active avec le seul outil ou la seule incitation à la création de très petites entreprises. Il ne peut non plus s'agir, à travers la promotion de la création d'entreprise de culpabiliser les personnes privées d'emploi en leur « imposant » une création que les statisticiens qualifieront ensuite, à juste titre, de « subie » ou « contrainte ». On ne peut qu'aspirer à une création librement choisie et volontaire. Si le droit au travail est déjà un principe constitutionnel, malheureusement non traduit dans les faits, si l'on peut souhaiter que le « droit à l'initiative » intègre à l'avenir les politiques publiques, il ne saurait être question de transformer un hypothétique droit en devoir. Il n'y a pas et il ne peut y avoir de « devoir de créer » pour quiconque, a fortiori, pour un chômeur.

D'autres, plus préoccupés de « l'image de marque » de la création d'entreprise, sont soucieux de rappeler l'enjeu que représente la création d'entreprises à fort potentiel, créées volontairement et non de façon contrainte par des professionnels qui souvent ne sont pas des chômeurs. Ceux-là craignent que le chômeur-créateur n'altère l'image de la création porteuse de croissance, de progrès et d'emploi.

Soyons, en la matière, plus simple ou moins pudibond.

Nul ne contestera la nécessité de la non-assimilation de la création d'entreprise au chômage. Oui, certaines des plus belles créations d'entreprises sont le fait d'entreprises ou d'individus porteurs d'un savoir-faire ou d'une technologie, épargnés des affres du chômage et apportant une contribution significative à la croissance et l'emploi.

Oui, il faut encourager tous les créateurs d'entreprise et pas seulement les chômeurs, et les propositions de ce rapport, notamment celles qui portent sur l'adaptation de la couverture sociale à la spécificité du créateur d'entreprise, vont en ce sens.

Mais pourquoi, en même temps, ne pas regarder la réalité en face et constater qu'une création d'entreprise sur deux est l'oeuvre d'une personne au chômage, que le travail indépendant reste l'une des voies de la réinsertion lorsque les autres se sont révélées infructueuses, que certains individus trouvent, « dos au mur », dans la précarité, l'énergie et la foi nécessaires pour inverser la courbe de leur destin.

Dans une France où selon l'expression consacrée « l'ascenseur social est en panne », où la formation initiale et les diplômes jouissent d'un prestige excessif et où les chômeurs de plus de 45 ans - 45 ans seulement - ont les plus grandes difficultés à réintégrer le marché du travail, faudrait-il à la fois nier ou regretter la contribution de la création de petites entreprises à la lutte contre le chômage et au recouvrement, pour des personnes marginalisées par un système économique, de leur dignité ?

Si l'on doit à juste tire veiller à ne pas prêter à la création de petites entreprises plus de vertu qu'elle n'en peut avoir, s'il est très certainement efficace, d'un point de vue pédagogique, de distinguer le créateur du chômeur, s'il faut encourager celui que, faute de mieux, on qualifiera de « non-chômeur » dans son acte d'entreprendre, refusons la tendance que l'on sent se dessiner qui consisterait à faire du chômeur-créateur le cousin honteux de la famille.

Ne faisons pas non plus de lui l'unique objet du ressentiment des gestionnaires de la dépense publique.

Disons-le tout net : la suppression de la subvention accordée aux chômeurs créateurs bénéficiaires de l'ACCRE par le Gouvernement de M. Alain Juppé fut une faute majeure (*), quelles que soient les critiques, justifiées, que l'on pouvait porter sur les conditions de son attribution et, partant, les améliorations dont elle aurait pu faire l'objet.

Disons-le tout aussi franchement, cette faute n'a jusqu'ici été que partiellement réparée par le système dit d'avance remboursable dont ne bénéficient que certaines catégories de personnes.

Tous les créateurs ne sont pas, fort heureusement, des chômeurs. oeuvrons pour que, de plus en plus nombreuses, des personnes épargnées par le chômage se tournent vers la création d'entreprises.

Mais reconnaissons aussi la noblesse du chômeur-créateur. Elle mérite, il mérite, d'être soutenu(e).

(*) un point de désaccord: sera développé ultérieurement

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