Il fut un temps où la politique était ambitieuse, voire impérialiste.
Les étudiants de la fin des années soixante-dix, utilisateurs des manuels de la collection « Points-Politique », pouvaient méditer sur l'aphorisme figurant au dos de tous les ouvrages : « Les problèmes politiques sont les problèmes de tout le monde ; les problèmes de tout le monde sont des problèmes politiques ».
La politique est devenue modeste ; elle n'oserait plus revendiquer un tel étendard. On pourrait cependant l'adapter à notre sujet.
Les problèmes de la création d'entreprise sont les problèmes de tout le monde ; les problèmes de la création d'entreprise sont d'abord des problèmes politiques.
1. Un consensus théorique fort est aujourd'hui établi, en dépit de motivations parfois contradictoires, en faveur du soutien à la création d'entreprise.
2. En pratique, l'accès à la création d'entreprise est inégalitaire.
3. Le principal enjeu politique réside donc dans la démocratisation de l'entrepreneuriat et la mise en oeuvre d'un partage du risque.
A.- UN CONSENSUS EN FAVEUR DE LA CRÉATION D'ENTREPRISE
Observons d'abord que - sur le plan des principes - jamais le discours sur l'intérêt de la création d'entreprises n'aura fait l'objet d'un consensus aussi évident.
Certes, les motivations ou les substrats politiques ou idéologiques continuent de diverger.
Les économistes ou politiques d'inspiration libérale célébreront le culte de la « libre entreprise », verront dans l'entrepreneur individuel le symbole d'une société de responsabilité qu'ils opposeront à une société d'assistance et désigneront l'État (ou « l'administration ») comme principal obstacle à la création.
D'autres plaideront, avec la Présidente de l'ADIE, Maria Nowak, pour une « économie sociale de marché » et verront dans « l'initiative économique, notamment celle des exclus » un moyen de « trouver une troisième voie entre le libéralisme sauvage et le socialisme étatique » (5)
Les mêmes (ou d'autres encore, parce que les « réseaux associatifs » de soutien à la création d'entreprises sont aussi divers dans leurs sources d'inspiration idéologique qu'ils le sont dans leur organisation ou leur fonctionnement) verront dans l'accès à l'initiative individuelle l'une des clés d'une « économie solidaire » et d'un développement que Jean-Baptiste de Foucauld ira jusqu'à qualifier de « socialement durable » (6).
Certes encore, il arrive qu'avant d'épouser le même lit et de se mêler en un même fleuve pour demander ensemble un vrai plan de soutien aux créateurs, l'hétérogénéité des sources provoquent de vastes remous dans les zones de confluence de leurs eaux.
Ainsi, par exemple, les participants au colloque organisé par le collectif « Synergies pour la création d'entreprises » en novembre 1998 se souviendront des réactions provoquées dans la salle par le représentant du MEDEF plaçant la volonté de « faire de l'argent » au premier rang des motivations de l'acte d'entreprendre.
La sagesse - ou la simple lucidité - devraient nous conduire à accepter le large spectre des raisons pour lesquelles un individu entreprend.
L'un est un créateur « volontaire », l'autre « contraint », la création d'entreprise n'étant pour le second que le moyen d'échapper au chômage ou à l'exclusion.
Certains créateurs chercheront à assouvir leur besoin d'indépendance (« se mettre à son compte »), leur désir de « faire fortune » (ou, plus souvent, plus simplement « mieux gagner leur vie ») voire leur quête de reconnaissance sociale.
D'autres privilégieront les solidarités locales, la création d'entreprise « pour le compte d'autrui » (pour créer de l'emploi pour d'autres), la réalisation d'un projet collectif (« entreprises collectives », coopératives, etc.).
La création d'entreprises peut être un combat individuel ou collectif contre le sort, la fatalité ou l'indifférence. Elle peut aussi être ludique, spéculative ou « aventurière ».
A titre personnel, chacun est libre de préférer, tel ou tel « segment » des raisons pour lesquels une personne entreprend.
Les organisations politiques peuvent aussi être fondées à estimer plus utile pour la collectivité de renforcer son soutien à telle ou telle catégorie de créateurs.
Il n'en demeure pas moins vrai qu'aujourd'hui l'ampleur de la tâche à accomplir pour mettre en place un plan ambitieux de soutien à la création d'entreprises et le constat de convergence non pas des visions politiques mais des attentes des principaux protagonistes de ce soutien doit conduire l'État à accepter la diversité des motivations à l'acte d'entreprendre et à s'appuyer sur le consensus de principe dont la « cause » de la création d'entreprises fait aujourd'hui l'objet.